02 – Introduction – La date de l’écriture
Il faut ajouter à cette discussion qu’il existe beaucoup de parallèles entre l’Apocalypse et les autres écrits de Jean, dans le vocabulaire, les tournures de phrases, et surtout dans la simplicité de construction grammaticale qui rend le texte limpide et facile à comprendre. Et puis on retrouve partout la même nature sensible, la même conception de Dieu et le même amour pour la vérité, ainsi que cette énergie et candeur propre à Jean, quand il déclare ce qu’il a vu et entendu (Apocalypse 1.1-2 ; 22.8 ; Jean 1.14 ; 19.35 ; 21.24 ; 1Jean 1.1). Il faut noter que Jean est le seul auteur sacré à appeler Jésus : « la Parole » (Jean 1.1 ; Apocalypse 19.13), « l’Agneau et un témoin » (Jean 5.31-32 ; Apocalypse 1.5). La citation du prophète Zacharie : « ils tourneront leurs regards vers moi, celui qu’ils auront transpercé » (Zacharie 12.10) se trouve à la fois dans l’Apocalypse (1.7) et l’évangile selon Jean (19.37). On a aussi dit que l’Apocalypse est trop brutale pour avoir été composée par l’apôtre de l’amour mais il ne faut pas oublier que Jésus a donné à Jean et à son frère Jacques, le nom de « fils du tonnerre » à cause de leur caractère vif, ardent et passionné (Matthieu 3.17 ; 9.38 ; 10.35 ; Luc 9.54), caractère qu’on trouve dans l’évangile (1.13 ; 3.1 suivants, 18, 36) et dans la première épître de Jean (1.6 ; 3.10).
La littérature juive et chrétienne du premier siècle comptait déjà des écrits apocalyptiques, mais les auteurs étaient anonymes et attribuaient leurs révélations à l’un des hommes vénérés du passé comme Hénoc, Abraham, Moïse, Élie ou encore Esdras. Par contre, l’Apocalypse est signée par Jean qui affirme que Dieu lui a montré comment finirait ce monde. Il se distingue aussi par sa sobriété et son message, qui n’est pas seulement une suite de catastrophes qui ressemblent aux plaies d’Égypte, mais le triomphe de Dieu à la gloire de Jésus-Christ. Jean reçoit ses visions prophétiques sous forme d’immenses fresques grandioses qui se déroulent autant sur terre que dans les cieux. On en trouve d’ailleurs des ébauches dans les prophéties d’Ézéchiel, Daniel et Zacharie. Dès le début de la vision de Jean (Apocalypse 1.9-20), le Seigneur apparaît sous un aspect surprenant, effrayant même, et Jean le décrit en détail.
Puis il apparaît sous la forme d’un agneau égorgé, siégeant sur un trône et donc dans son double rôle de rédempteur et de roi (Apocalypse 5.6). Deux fois Jésus est décrit en guerrier monté sur un cheval blanc (Apocalypse 6.2 ; 21.9-13) dans le double rôle de conquérant et exécuteur des jugements de Dieu. Comme tous les prophètes, Jean voit les événements se télescoper les uns à la suite des autres sans avoir la moindre notion du temps qui les sépare. Voilà pourquoi Jean partage l’espérance des autres apôtres et des chrétiens de l’âge apostolique qui attendent dans un avenir très proche le retour du Seigneur et la fin du monde.
Les théologiens d’obédience libérale situent la composition de l’Apocalypse sous le règne de Néron (54-68) sans aucune preuve convaincante. Par contre, la fin du premier siècle (en 96) convient parfaitement, car Jean est alors exilé sur l’île de Patmos dans la mer Égée par l’empereur Domitien qui persécute les chrétiens. Cette date tardive est épousée par Irénée, Clément d’Alexandrie, Origène, Victorinus, Eusèbe et Jérôme. Elle est confirmée par l’état dégénéré de cinq des sept églises auxquelles Jésus s’adresse, alors que dans les années 60 du premier siècle et à la lumière des épîtres de Paul, elles étaient toutes spirituellement dynamiques. Par ailleurs, les hérétiques Nicolaïtes se sont infiltrés dans les églises d’Éphèse et de Pergame (Apocalypse 2.6, 15) alors qu’ils n’apparaissent pas dans les épîtres de Paul. Un autre argument en faveur d’une date tardive est que l’église de Laodicée est riche et se considère suffisante, alors qu’elle fut entièrement détruite par un tremblement de terre vers l’an 60. Finalement, l’église de Smyrne n’a été fondée qu’après la disparition de l’apôtre Paul. Il n’est donc pas possible qu’elle ait pu naître, se soit développée, puis ait décliné pendant les 14 ans du règne de Néron (54-68).
L’interprétation des visions extraordinaires que l’apôtre Jean reçoit sont comprises de quatre façons différentes. L’approche prétériste considère l’Apocalypse comme un récit historique survenu dans l’empire romain du 1er siècle. Mais elle ne cadre pas du tout avec ce qu’on sait de cette période. L’approche historiciste considère l’Apocalypse comme un survol de l’histoire de l’Église depuis les apôtres jusqu’au présent. Mais les événements fantastiques du livre ne coïncident pas avec ceux qui se sont déroulés, sauf si on a recours à une interprétation allégorique et très subjective du texte. En plus, cette approche est hors de propos pour les croyants de la fin du premier siècle à qui l’Apocalypse est pourtant adressé. L’approche idéaliste considère que l’Apocalypse décrit la lutte immémoriale entre le bien et le mal à l’aide de symboles. C’était l’opinion de Saint Augustin, qui a même déclaré que le règne millénaire de Jésus avait débuté au moment de sa naissance ; c’est aussi la position de l’Église catholique romaine. Les trois premières approches laissent à l’ingéniosité de l’homme de décider ce que les fresques fantastiques de l’Apocalypse signifient. La quatrième approche interprète le texte selon une grille de lecture littérale, grammaticale et historique. C’était aussi la perspective des lecteurs chrétiens du 1er siècle.