Jonas 3.4-10
Chapitre 3
Verset 4
Imaginez quelqu’un, qui sous le règne d’un roi Louis, va de place en place annonçant la destruction imminente de Paris. On l’aurait arrêté en moins de deux et alors tout aussi vite on lui aurait tranché la tête ou bien jeté dans une oubliette à tout jamais. C’est ce que le prophète Jonas risque en parcourant les rues de la ville royale de Kalah au sud du triangle de Ninive. En fait c’est sans doute ce qu’il souhaite car il préfère qu’on le fasse taire ou bien qu’aucun habitant ne lui prête la moindre attention, afin que le châtiment de Dieu tombe sur l’agglomération de Ninive et la raye de la carte.
Je continue de lire dans le troisième chapitre du livre de Jonas.
Jonas entra dans la ville et commença par y marcher toute une journée en proclamant : Dans quarante jours, une catastrophe viendra sur Ninive ! (Jonas 3.4).
Jonas arrive en vue de l’agglomération de Ninive et la première ville à se présenter à lui est Kalah (aujourd’hui Nimroud) où on a retrouvé les restes de quatre palais magnifiques. Cette ville (comparez Genèse 10.11) est située dans l’angle formé par le fleuve Tigre et son affluent, le Zab.
Après avoir fait les places de Kalah, Jonas doit parcourir de vastes espaces cultivés avant d’arriver à la prochaine ville. Comme je l’ai déjà dit, on en connaît certaines mais pas toutes.
Jonas annonce « une catastrophe », un terme qui est généralement utilisé pour décrire la destruction de Sodome et Gomorrhe. En d’autres mots, l’Éternel a l’intention de faire subir à Ninive le même sort que les villes maudites. Or à lire ce récit, on constate que la ruine de toutes les villes de la vallée de Siddim, et de Sodome et Gomorrhe en particulier, fut complète puisque les seuls survivants furent Lot, le neveu d’Abraham ainsi que ses deux filles. Si l’Éternel n’a pas envoyé un prophète à Sodome, c’est probablement parce que Lot y résidait et assumait ce rôle. De plus, Dieu a fait connaître à Abraham ses intentions et lui a donné l’occasion d’intercéder pour ces villes. Dans un cas comme dans l’autre, l’Éternel donne une chance de salut aux coupables.
Jonas se déplace d’un endroit à l’autre et annonce un message qui ne pourrait pas être plus simple et il ne donne aucune explication. Il ne s’embarrasse ni du pourquoi ni du comment ; il ne dit pas non plus qui il est ni d’où il vient. Il s’en tient strictement à la menace que Dieu lui a ordonné de faire tout en espérant que personne n’en tiendra compte. Il dit littéralement : « Encore quarante jours et Ninive est renversée ». Il utilise un participe passé comme si dans sa vision prophétique il voyait le triangle de Ninive détruit et totalement en ruines. Par sa concision, le message de Jonas est sec comme un coup de trique, froid comme du métal et brutal comme la lame de la guillotine. Cependant, cette menace est soumise à condition et ne va pas s’appliquer automatiquement au grand chagrin de Jonas. Si les Assyriens se repentent, Dieu reviendra sur sa décision de les anéantir.
Verset 5
Je continue le texte.
Les habitants de Ninive crurent en Dieu, ils publièrent un jeûne et, quelle que fût leur condition sociale (du plus petit au plus grand), ils revêtirent des habits de toile de sac (Jonas 3.5).
La coutume qui consiste à endosser un habit de toile de sac quand on est confronté à une tragédie ne se pratique pas uniquement en Israël, mais est courante chez tous les peuples du Moyen-Orient.
La menace proférée par Jonas se répand comme une traînée de poudre et le baril explose ; l’incroyable se produit ; les habitants croient que ce curieux personnage dit la vérité, qu’il parle au nom de l’Éternel et que ce Dieu a le pouvoir de détruire Ninive. Ils croient aussi que s’ils s’humilient, Dieu leur fera grâce.
Après la ville de Kalah, c’est donc au tour des habitants de Ninive de se repentir. Que toute une agglomération s’humilie comme un seul homme devant le Dieu du ciel est extraordinaire et d’ailleurs peu de gens acceptent cette version des faits surtout que les annales des rois d’Assyrie n’en parlent pas du tout, mais c’est compréhensible car les documents officiels n’inscrivent pas ce qui fâche ou embarrasse. Aucune des archives égyptiennes ne mentionne le départ du peuple hébreu, sa traversée de la mer Rouge et l’anéantissement de l’armée du pharaon qui poursuivait Israël.
Sous le règne de Sennachérib, les Assyriens n’ont jamais reconnu avoir perdu leur armée qui assiège Jérusalem, pourtant dans le second livre des Rois, on lit :
Cette nuit-là, l’ange de l’Éternel intervint dans le camp assyrien et y fit périr 185 000 hommes. Le lendemain matin au réveil, le camp était rempli de tous ces cadavres (2Rois 19.35).
Que ces événements extraordinaires n’aient pas laissé de trace ne prouve pas qu’ils n’ont pas eu lieu. Contrairement aux peuples païens, les Textes Sacrés relatent aussi bien les circonstances positives que négatives des rois et des deux royaumes israélites.
Pour ce qui est des habitants de Ninive, et comme je l’ai déjà dit dans l’introduction, il faut se rappeler qu’il s’était passé plusieurs phénomènes que les Assyriens considèrent troublants et signes de mauvais augures. Il y a eu une famine en 765 avant Jésus-Christ, une éclipse du soleil en l’an 763 et des rébellions de plusieurs villes contre l’autorité royale assyrienne qui durèrent jusqu’en 758. Ces événements ont marqué les esprits et créé un climat d’insécurité qui dispose favorablement les habitants de Ninive au message de Jonas. Leur réaction est davantage motivée par une peur superstitieuse que par une foi authentique en l’Éternel. Comme les Assyriens s’attendent à ce qu’une catastrophe survienne d’un jour à l’autre, ils sont psychologiquement et spirituellement conditionnés à faire n’importe quoi pour y échapper. Sur ces entrefaites arrive Jonas avec des menaces mais aussi avec la possibilité de bénéficier de la miséricorde divine.
Par ailleurs, il est fort probable que les habitants de Ninive ont entendu parler de l’Éternel, le Dieu des Hébreux et de ses deux grands prophètes Élie et Élisée. Et maintenant ce Dieu envoie dans leurs villes l’un de ses porte-parole, qui, à ses dires, a été miraculeusement sauvé de la noyade afin qu’il annonce aux Assyriens qu’à moins d’un changement radical de comportement, leur capitale et son agglomération seront réduites en cendres. L’apparition soudaine de cet inconnu qui ose prédire la destruction de Ninive de la part de l’Éternel doit donc faire une profonde impression sur la mauvaise conscience des Assyriens, et donc, on peut comprendre qu’ils se soient faits tout petits.
On sait que les Assyriens ont cru les paroles du prophète parce que dans l’évangile selon Luc, Jésus enseigne que Jonas a été un signe pour les habitants de Ninive (Luc 11.30). Il faut aussi remarquer que selon les paroles mêmes du Seigneur, ce n’est pas seulement la prédication du prophète qui a ébranlé le peuple mais toute sa personne.
En effet, Jonas parle avec une autorité qui n’admet aucune réplique. Les Assyriens peuvent observer le courage du prophète et lire sa conviction sur ses lèvres. Comme ils avalent tout cru les histoires fantaisistes que leur racontent leurs propres voyants, les menaces de Jonas prononcées avec une assurance sans pareille les interloquent et les secouent jusque dans les tréfonds de leur être.
Comme dans leur âme et conscience, ils savent très bien que leurs actions sont coupables, le message de Jonas n’est pas une nouvelle révélation mais une confirmation de ce qu’ils craignent. Voilà pourquoi ils croient sur parole prophète de l’Éternel et proclament spontanément un jeûne national de contrition. Ils mettent les drapeaux en berne, tous les commerces tirent leurs rideaux ; les salles de spectacle sont fermées, enfin quelque chose comme ça. Ce qui est surprenant est que ces initiatives sont un élan national sans ordonnance officielle. Il faut aussi dire que ces actions dramatiques ont pour unique but d’apaiser un Dieu puissant très en colère.
Les Assyriens sont sincères avec eux-mêmes dans les limites de leur vision religieuse du monde, mais cette remise en question fut éphémère et superficielle, car de toute évidence elle s’est éteinte aussi vite qu’un feu de paille. S’il est vrai que tout ce que Dieu demande à un être humain est de croire en lui, la vraie foi n’est pas un simple acquiescement comme quoi il y a un dieu quelque part.
En ce qui nous concerne, la foi authentique est une action très spécifique qui consiste à placer sa confiance en Jésus, à l’accepter comme son Sauveur parce que c’est lui qui a réalisé l’œuvre du salut en mourant sur la croix pour les péchés des hommes.
Versets 6-7
Je continue le texte.
Le roi de Ninive, informé de la chose, se leva de son trône, enleva son manteau royal, se couvrit d’un habit de toile de sac et s’assit sur de la cendre. Puis il fit proclamer ce décret dans Ninive : “ Par ordre du roi et de ses ministres, il est interdit aux hommes comme aux bêtes, petit ou gros bétail, de manger quoi que ce soit, de paître et de boire de l’eau ! ” (Jonas 3.6-7).
Le roi (probablement Ashur-Dan III ; 772-754) n’est pas à l’origine de ce mouvement national de repentance, mais l’ayant appris, il est saisi de crainte comme ses sujets. Alors, il donne l’exemple d’une profonde repentance et amplifie les ordonnances déjà publiées par les magistrats de la ville en étendant les rigueurs du jeûne aux animaux des champs car l’heure est grave et c’est le salut de tous qui est en jeu, hommes et bêtes.
La participation d’un roi à une humiliation nationale n’a rien d’exceptionnel. En 793 avant Jésus-Christ, le roi d’Assyrie (Adad-Nirâri III, 811-783) adresse au gouverneur d’une ville au nord-est de la Syrie (Guzana) le message suivant :
Lamentez-vous, priez, repentez-vous pendant trois jours, vous, peuples, pays, campagnes, et accomplissez les rites de purification (Bible du Semeur ; Jonas 3.6 ; page 1318).
D’après des archives retrouvées, avant la chute de Ninive aux mains des Babyloniens, le roi en place (Sin-Shar-Ishkun ; 623-612) décrète un jeûne de 100 jours et 100 nuits aux dieux afin qu’ils détournent le danger que représentent leurs ennemis qui assiègent la ville (G. Smith’s “ History of Babylon ”, p. 156).
Bien que les monarques assyriens possèdent une autorité absolue, le texte dit : « Par ordre du roi et de ses ministres ». Si dans le cas présent, le roi associe ses conseillers à son décret c’est par humilité parce qu’il est réellement terrifié par le message de Jonas.
Que les animaux soient également privés de nourriture peut surprendre car n’ayant pas de sens moral, ils sont innocents et ne portent donc aucune responsabilité à l’égard des comportements répréhensibles de leurs maîtres. Cependant, comme ils partagent les joies et les peines des hommes, ils sont inclus dans de telles manifestations. Cette association était répandue dans tout le Moyen-Orient.
Hérodote (484-425 avant Jésus-Christ), considéré comme le père de l’Histoire, écrit qu’une fois les Perses ont coupé les crinières et les queues de leurs chevaux et de leurs mules en signe de deuil national (ix. 24 ; The Pulpit Commentary # 14 ; Eerdmans Publishing Co ; Grand Rapids, Michigan ; March 1963 ; Jonah 3.7 ; page 60).
Quand j’étais enfant, les corbillards étaient encore tirés par des chevaux et on les revêtait de noir, signe de deuil, ce qui montre que la participation des animaux aux tragédies humaines n’a rien d’étonnant. Comme les animaux et les êtres humains vivent ensemble, il va de soi qu’ils partagent plus ou moins le même sort. Mais on retrouve aussi cette logique dans les Écritures où dans plusieurs passages, on constate que les bêtes des champs subissent le jugement de Dieu contre les hommes ; c’est ce qui est arrivé lors du déluge par exemple. Par contre, les animaux bénéficieront également des bénédictions du millénium. Ésaïe écrit :
Le loup vivra avec l’agneau, la panthère paîtra aux côtés du chevreau. Le veau et le lionceau et le bœuf à l’engrais seront ensemble, et un petit enfant les mènera au pré. Les vaches et les ourses brouteront côte à côte, et leurs petits auront un même gîte. Le lion et le bœuf se nourriront de paille (Ésaïe 11.6-7).
Verset 8
Je continue le texte de Jonas.
Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs, qu’ils crient à Dieu avec force, et que chacun revienne de sa mauvaise conduite et de la violence (attachée) aux paumes de ses mains ! (Jonas 3.8).
D’après l’histoire du peuple assyrien et comme je l’ai déjà dit, on sait que la foi des habitants de Ninive au Dieu de Jonas fut de courte durée. Cependant, au moment de sa prédication elle est relativement sincère puisqu’elle produit l’humiliation et le renoncement au mal. C’est en tout cas l’avis de Jésus qui a dit :
Au jour du jugement, les habitants de Ninive se lèveront et condamneront les gens de notre temps, car ils ont changé de vie en réponse à la prédication de Jonas (Luc 11.32 ; comparez Matthieu 12:41).
L’arrogance, la violence et la cruauté sont des spécialités des Assyriens qui ne se lassent pas de faire la guerre, de conquérir d’autres peuples et de les oppresser sans pitié. Le prophète Nahum menace Ninive en disant :
Malheur à toi, ô ville, qui te repais de sang, ville où tout n’est que fraude et extorsions, qui ne met pas de terme à toutes ses rapines. Fouets qui claquent ! Fracas des roues ! Des chevaux au galop ! Déferlement de chars ! Charge des cavaliers ! Flamboiement des épées ! Éclairs des lances ! Blessés sans nombre ! Amas de corps ! À perte de vue : des cadavres ! On trébuche sur eux (Nahum 3.1-3).
Et contre les Assyriens en général, Ésaïe prophétise :
Voici ce qui arrivera, dit le Seigneur : […] J’interviendrai contre le roi de l’Assyrie à cause de ses pensées orgueilleuses et de son regard arrogant. Car il a déclaré : “ C’est par ma propre force que j’ai fait tout cela, et grâce à mon habileté, car je suis très intelligent. Moi, j’ai déplacé les frontières de nombreux peuples, et pillé leurs trésors et, comme un homme fort, j’ai détrôné des rois. Ma main a ramassé les richesses des peuples comme on ramasse un nid. Comme on s’empare des œufs abandonnés, j’ai pris toute la terre sans qu’il y ait personne pour agiter les ailes, ou pour ouvrir le bec, ou pour siffler ” (Ésaïe 10.12-14).
Le roi d’Assyrie qui règne au temps de Jonas sait que les signes extérieurs de la repentance n’ont aucune valeur s’ils ne sont pas accompagnés d’un changement moral sincère. Ce principe est aussi la substance du message de tous les prophètes que l’Éternel envoie aux Israélites. Par exemple, Jérémie exhorte le peuple de Juda en disant :
Que chacun de vous abandonne sa mauvaise conduite et ses actes mauvais ! Alors vous demeurerez dans le pays que l’Éternel vous a donné, à vos ancêtres et à vous, depuis toujours et pour toujours (Jérémie 25.5 ; comparez Jérémie 36.3, 7).
Mais les Juifs n’ont voulu ni entendre ni comprendre ni accepter cette vérité (Ésaïe 58).
Verset 9
Je continue le texte.
“ Qui sait ! Peut-être Dieu se ravisera-t-il et décidera-t-il de changer de ligne de conduite en abandonnant son ardente colère, de sorte que nous ne périrons pas ” (Jonas 3.9).
On peut ressentir un sentiment touchant dans ce soupir des habitants de Ninive, dans cet appel simple et humble que le roi au nom du peuple adresse à l’Éternel, qu’il reconnaît comme le Dieu suprême mais aussi Celui qui est plein de miséricorde. Le spectacle des habitants de Ninive qui portent le deuil en attendant la décision divine est une scène émouvante.
Le prophète Joël manifeste les mêmes émotions aux Israélites du Nord quand il leur dit :
Déchirez votre cœur, et non vos vêtements, et revenez à l’Éternel, lui qui est votre Dieu. Car il est plein de grâce, il est compatissant et lent à la colère, il est riche en amour et il renonce volontiers au malheur dont il avait menacé. Qui sait ? Peut-être l’Éternel se ravisera-t-il et changera-t-il lui aussi de ligne de conduite. Qui sait s’il ne laissera pas derrière lui une bénédiction pour que vous puissiez faire des offrandes, des libations à l’Éternel, lui qui est votre Dieu ? (Joël 2.13-14).
Verset 10
Je finis maintenant de lire le chapitre trois de Jonas.
Lorsque Dieu constata comment les Ninivites réagissaient et abandonnaient leur mauvaise conduite, il renonça à faire venir sur eux le malheur dont il les avait menacés : il s’en abstint (Jonas 3.10).
L’auteur (Jonas) exprime par anticipation ce que Dieu va faire suite à la repentance des Assyriens.
Comme je l’ai déjà dit, dans les archives assyriennes il n’existe évidemment aucune trace de ce changement moral pourtant extraordinaire. Mais ce n’est guère étonnant parce que les peuples antiques ne mentionnent que les accomplissements dont ils sont fiers comme les guerres victorieuses et les constructions pharaoniques qu’ils réalisent. Pareillement, les Romains ont voulu qu’on les considère comme des bâtisseurs et des conquérants.
Par l’intermédiaire de Jonas, l’Éternel a prononcé un jugement conditionnel sur Ninive. Comme les habitants se sont humiliés, Dieu renonce à faire venir la catastrophe dont il les a menacés. Ce n’est pas qu’il regrette ce qu’il avait décidé ou qu’il a changé d’avis, mais parce que les hommes ont réagi à la menace en se repentant et en abandonnant leurs agissements abominables, il renonce à son projet de les exterminer. Dieu tient en effet compte des comportements des hommes et il adopte à leur égard une ligne de conduite qui correspond à leur attitude. Le prophète Jérémie écrit :
Une fois, je décrète de déraciner une nation ou un royaume, de le renverser et d’amener sa ruine. Mais si cette nation que j’ai menacée cesse de mal agir, je renoncerai à lui envoyer le malheur que j’avais projeté contre elle (Jérémie 18.7-8).
Parce que Dieu est toujours prêt à pardonner, on peut véritablement dire : « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».
Commentaire biblique radiophonique écrit par le pasteur et docteur en théologie : Vernon McGee (1904-1988) et traduit par le pasteur Jacques Iosti.