Aggée 2.1-4
Chapitre 2
Introduction
De l’autre côté de la barrière ou des barbelés, l’herbe semble toujours plus verte, plus grasse et donc meilleure, mais c’est mythe. Celui qui est confortablement installé dans un pays et qui prend la décision d’aller dans un autre subit un déracinement terrible. Il perd son réseau social, les connaissances et les amis qu’il s’est fait, c’est à dire tout le système de ressources humaines qu’au fil du temps il s’était constitué : le médecin, le plombier et le garagiste par exemple. Ensuite, il s’expose à toute une liste de désagréments, à la désillusion, à la dépression et à des risques financiers, sauf s’il a la chance de travailler pour une grosse multinationale qui couvre tous ses frais. S’il a une famille et des enfants scolarisés, la complexité des problèmes à résoudre prend l’allure d’une courbe exponentielle.
Pourtant, il arrive que par devoir on doive tout plaquer et repartir à zéro. C’est exactement ce que font les premiers colons juifs qui ont quitté la Babylonie, leur pays d’exil et d’adoption. Ils vendent leur propriété, bouclent leur valise, disent au revoir puis prennent la direction de la Terre promise et plus précisément le pays de Juda. Après un long périple qui dure des mois et ressemble à un parcours du combattant, ils arrivent en Israël tout feu tout flamme et remettent immédiatement sur pied l’autel des holocaustes puis décident de s’attaquer à la reconstruction du Temple de l’Éternel qui a été détruit par les Babyloniens.
Mais les colons rencontrent tellement de difficultés, et surtout l’animosité des Samaritains, qu’ils jettent l’éponge et se recroquevillent sur eux-mêmes. Le temps passe puis le prophète Aggée entre en scène. Il reproche aux Israélites leur préoccupation pour leurs propres affaires et surtout leurs constructions luxueuses, ainsi que l’indifférence qu’ils affichent à l’égard du Temple de l’Éternel depuis qu’ils ont abandonné sa reconstruction.
Aggée force alors les Israélites à réfléchir sur leurs conditions de vie misérables qu’il interprète à la lumière de l’alliance de la Loi. Les problèmes que les colons rencontrent sont un jugement de Dieu contre eux. Le prophète les appelle alors à se repentir en rouvrant le chantier du Temple. Le peuple rassemblé prend à cœur les reproches qui lui sont adressés et reçoit en retour des paroles d’encouragement de la part de l’Éternel.
Verset 1
Je commence de lire le chapitre deux du livre d’Aggée.
Le vingt et unième jour du septième mois, l’Éternel fit entendre sa parole par la bouche du prophète Aggée en ces termes (Aggée 2.1).
Cette date correspond au 17 octobre de l’an 520 avant Jésus-Christ, environ un mois après le début de la reprise des travaux de reconstruction du Temple.
Nous sommes au dernier jour de la fête des Cabanes (ou Tabernacles). À cette occasion et selon la Loi, les Israélites doivent se réjouir en fêtant les moissons de l’été. Dans le livre du Lévitique, on lit :
Le quinzième jour du septième mois quand vous aurez récolté tous les produits de vos terres, vous célébrerez une fête en l’honneur de l’Éternel pendant sept jours. Le premier et le huitième jour seront des jours de repos. Le premier jour, vous prendrez de beaux fruits de vos arbres, des branches de palmiers, des rameaux d’arbres touffus et de saules des rivières. Pendant sept jours, vous vous réjouirez devant moi, l’Éternel votre Dieu. – Vous habiterez pendant sept jours dans des cabanes ; tous ceux qui seront nés en Israël logeront dans des cabanes pour que vos descendants sachent que j’ai fait habiter les Israélites sous des tentes lorsque je les ai fait sortir d’Égypte. Je suis l’Éternel votre Dieu (Lévitique 23.39-40, 42-43).
Mais pour les colons juifs, la nature joyeuse de ce festival est ternie par leur moisson qui ne doit pas être très abondante et par le fait qu’ils n’ont toujours pas de Temple en état de fonctionner. De plus, la progression des travaux est lente car il y a plus de soixante années de gravats à déblayer et de nombreux jours de repos obligatoires qu’ils doivent consacrer à l’Éternel. En effet, en plus des sabbats habituels, le septième mois de l’année juive compte plusieurs fêtes : les Trompettes le premier jour du mois, Yom Kippour le dixième jour, la fête des Cabanes du 15 au 21, et le 22 du mois est lui aussi férié.
Versets 2-3
Je continue le texte.
Parle à Zorobabel, fils de Shealtiel, gouverneur de Juda, à Josué, fils de Yehotsadaq, le grand-prêtre, et à tout le reste du peuple, et dis-leur : Reste-t-il, parmi vous, quelqu’un qui ait connu ce Temple dans son ancienne gloire ? Et à présent, comment le voyez-vous ? N’est-il pas comme rien aujourd’hui à vos yeux ? (Aggée 2.2-3).
Ce message est adressé à tous sans exception : aux chefs temporel et spirituel du peuple mais aussi à tous les Israélites qui ont quitté la Babylonie pour venir s’établir en Juda.
Ce second discours d’Aggée est probablement motivé par le découragement des colons qui se plaignent qu’en l’état actuel des choses, il leur est impossible de reconstruire un temple digne de l’ancien, du célèbre Temple de Salomon. En effet, dans les rangs des Israélites, il se trouve encore quelques vieillards qui dans leur tendre enfance ont connu et admiré l’ancien Temple détruit 66 ans auparavant (en 586). Seize ans plus tôt (en 536, deux ans après le décret de Cyrus) avait eu lieu la pose des fondations du nouveau Temple. Dans le livre d’Esdras, on lit :
Dans la deuxième année après l’arrivée des exilés au Temple de Dieu à Jérusalem, au deuxième mois, Zorobabel, fils de Shealtiel, Josué, fils de Yehotsadaq, et le reste de leurs compatriotes, les prêtres et les lévites et tous ceux qui étaient revenus de captivité à Jérusalem, commencèrent le travail. Les lévites âgés de vingt ans et plus furent chargés de superviser les travaux du Temple de l’Éternel. Josué, avec ses fils et ses frères, Qadmiel avec ses fils qui étaient des descendants de Juda eurent pour fonction de superviser tous ensemble ceux qui travaillaient au chantier. Ils étaient assistés des descendants de Hénadad, avec leurs fils et leurs parents les lévites. Lorsque les maçons posèrent les fondations du Temple de l’Éternel, on mit en place les prêtres revêtus de leurs habits de cérémonie, avec les trompettes en mains, et les lévites descendants d’Asaph avec les cymbales, afin de louer l’Éternel, selon les prescriptions de David, roi d’Israël. Ils entonnèrent des hymnes de louange et des cantiques de remerciement pour célébrer l’Éternel en chantant à tour de rôle : Oui, il est bon, et son amour pour Israël dure à toujours. Tout le peuple fit aussi retentir de grandes acclamations pour louer l’Éternel, parce qu’on posait les fondations de son Temple (Esdras 3.8-11).
Cependant, ces réjouissances sont entachées par le comportement rabat-joie des vieux qui se souviennent du sanctuaire précédent. Ils se mettent à pleurer à grand bruit en songeant combien minable sera ce nouvel édifice dont on commence seulement la construction avec des moyens réduits. Toujours dans Esdras, on lit :
Beaucoup, parmi les prêtres, les lévites, et les chefs de groupes familiaux parmi les plus âgés, qui avaient encore vu l’ancien Temple, pleuraient à haute voix pendant que l’on posait sous leurs yeux les fondations du nouveau Temple, alors que beaucoup d’autres gens exprimaient leur joie par des acclamations bruyantes, de sorte qu’on ne pouvait pas distinguer les ovations joyeuses des pleurs (Esdras 3.12-13).
Les vieux refroidissent l’ardeur, le zèle et l’enthousiasme des colons ; c’est comme s’ils leur avaient jeté un seau d’eau glacée à la figure. Cette même attitude décourageante refait surface maintenant que les travaux ont repris. Pourtant, il ne doit pas rester beaucoup de vieillards qui ont vu le Temple de Salomon, mais ceux qui tiennent encore debout réussissent à communiquer leur désillusion à la nouvelle génération. Il s’en suit que dès les toutes premières étapes de la construction, certains bâtisseurs font grise mine parce qu’ils s’imaginent déjà que le nouveau bâtiment sera minable comparé à la gloire du Temple de Salomon.
Quand j’étais adolescent, les anciens aussi disaient : « Ah mon pauvre, de mon temps patati et patata ; c’était bien mieux que maintenant ». Il faut dire que pour les colons juifs, la mémoire des jours anciens et glorieux tranche sévèrement avec la dure réalité présente. Les Israélites sont devant des monceaux de ruines et ils savent que le coffre de l’alliance, symbole de la présence divine, a disparu à tout jamais dans la tourmente de l’invasion babylonienne. Conscient de ces sentiments négatifs, le nouveau discours d’Aggée est destiné à donner au peuple l’assurance que l’Éternel revêtira sa nouvelle demeure de la splendeur qui lui convient.
Aggée commence par exprimer la déception des anciens par trois questions de rhétorique. Il demande : « Reste-t-il, parmi vous, quelqu’un qui ait connu ce Temple dans son ancienne gloire ? Et à présent, comment le voyez-vous ? N’est-il pas comme rien aujourd’hui à vos yeux ? » En mettant en mots ce que les anciens pensent, le prophète met cartes sur table et ainsi désamorce une bombe avant qu’elle n’explose et ne fasse davantage de grabuge. L’auteur de l’épître aux Hébreux écrit :
Veillez à ce […] qu’aucune racine d’amertume ne pousse et ne cause du trouble en empoisonnant plusieurs d’entre vous (Hébreux 12.15).
En posant la question : « Reste-t-il, parmi vous, quelqu’un qui ait connu ce Temple dans son ancienne gloire », Aggée superpose le nouveau bâtiment sur le Temple de Salomon. Il sera partiellement construit avec les mêmes matériaux, sur le même emplacement ; il sera adapté aux besoins des colons, satisfera les exigences divines et occupera la même place qu’auparavant dans la vie de la nation. Aggée rappelle ainsi qu’il existe un seul Temple quelle que soit la date de sa construction, et indépendamment de sa beauté ou de la richesse de ses décorations et du mobilier.
Quand Cyrus émet le décret autorisant les Juifs à retourner dans leur pays, c’est pour reconstruire le Temple de l’Éternel aux mêmes dimensions que le précédent (Esdras 1.3). Ce roi ne veut pas s’attirer les foudres d’un Dieu qu’il ne connaît pas et qui ne possède pas de statue. Tout porte à croire que Zorobabel aussi a l’intention de reconstruire le Temple tel qu’il était, mais avec les faibles ressources à sa disposition, il lui est impossible de bâtir une copie conforme au Temple de Salomon. Le nouveau est à peu près de la même taille que le précédent, par contre il ne possède pas ses parures et ses ornements, sa splendeur et son luxe. Zorobabel n’a pas à sa disposition l’or et les pierres précieuses nécessaires pour décorer le sanctuaire.
Les rédacteurs du Talmud, la tradition juive, soulignent cinq lacunes du nouveau Temple. Il n’a pas le feu sacré qui brûle jour et nuit, il n’a pas l’ourim et le toummim dont se sert le grand-prêtre pour connaître la réponse de Dieu à une question ; il n’a ni l’esprit de prophétie, ni la gloire de l’Éternel pour le remplir, et enfin, il n’a pas le coffre sacré avec son couvercle minutieusement travaillé, car ce dernier a disparu.
Verset 4
Je continue le texte.
Mais maintenant : courage, Zorobabel, dit l’Éternel. Toi aussi Josué, fils de Yehotsadaq, grand-prêtre, prends courage ! Courage, vous aussi, tous les gens du pays ! dit l’Éternel. Mettez-vous à l’œuvre, car je suis avec vous. Voilà ce que déclare le Seigneur des armées célestes (Aggée 2.4).
Il est intéressant de remarquer que le mot « Courage » ou « Sois fort » selon les versions, est dit trois fois pour bien le mettre en valeur. Puis il est suivi par : « Mettez-vous à l’œuvre ! » Ces deux exhortations : être fort et travailler sont des ordres que l’Éternel donne aux colons par le biais de son prophète. Ce discours fait écho aux paroles que le roi David dit deux fois de suite à son fils Salomon, au sujet de la construction du Temple. Dans le premier livre des Chroniques, on lit :
Considère maintenant que l’Éternel t’a choisi pour lui construire un édifice qui serve de sanctuaire. Prends courage, et au travail ! (1Chroniques 28.10). Mon fils, prends courage, tiens bon et mets-toi au travail ! Ne crains rien et ne te laisse pas effrayer, car l’Éternel Dieu, mon Dieu, sera avec toi ; il ne te délaissera pas et il ne t’abandonnera pas jusqu’à ce que tu aies achevé tout le travail à effectuer pour le Temple de l’Éternel (1Chroniques 28.20).
Après la mort de Moïse, Dieu dit à Josué :
Mon serviteur Moïse est mort. Maintenant donc, dispose-toi à traverser le Jourdain avec tout ce peuple, pour entrer dans le pays que je donne aux Israélites (Josué 1.2).
Contrairement à ce qui se fait aujourd’hui, il n’y a eu ni cérémonie particulière, ni fanfare, ni sonnerie de trompettes avec roulement de tambour. En quelques mots, l’Éternel dit à Josué : « c’est toi le chef des douze tribus (en réalité treize) et le commandant de l’armée d’Israël ; tu as carte blanche pour faire la conquête du pays de Canaan ; vas-y fonce ! » Jusqu’alors, ce brave homme, courageux, est l’aide de camp fidèle de Moïse, et voilà que soudainement il est propulsé à la tête d’un peuple immense. Ce n’est pas une petite affaire car en prenant la place de Moïse, il a devant lui d’énormes souliers à remplir. Josué a dû avoir des sueurs froides, ce qui explique pourquoi, dès le tout début du livre de Josué, Dieu lui dit :
Tant que tu vivras, personne ne pourra te résister, car je serai avec toi comme j’ai été avec Moïse, je ne te délaisserai pas et je ne t’abandonnerai pas. Prends courage et tiens bon, car c’est toi qui feras entrer ce peuple en possession du pays que j’ai promis par serment à leurs ancêtres de leur donner. Simplement, prends courage et tiens bon pour veiller à obéir à toute la Loi que mon serviteur Moïse t’a prescrite, sans t’en écarter ni d’un côté ni de l’autre. Alors tu réussiras dans tout ce que tu entreprendras. Aie soin de répéter sans cesse les paroles de ce livre de la Loi, médite-les jour et nuit afin d’y obéir et d’appliquer tout ce qui y est écrit, car alors tu auras du succès dans tes entreprises, alors tu réussiras. Je t’ai donné cet ordre : Prends courage et tiens bon, ne crains rien et ne te laisse pas effrayer, car moi, l’Éternel ton Dieu, je serai avec toi pour tout ce que tu entreprendras (Josué 1.5-9).
Il faut remarquer que l’Éternel dit à Josué trois fois de suite : « Prends courage et tiens bon », et deux fois : « je serai avec toi ». A ses côtés, le nouveau chef d’Israël a : « Celui qui accompagna la droite de Moïse de son bras glorieux » comme le dit si bien Ésaïe (63.12 ; JER). Et pour bien enfoncer dans le crâne de Josué toutes ces promesses, Dieu ajoute : « personne ne pourra te résister, je ne te délaisserai pas et je ne t’abandonnerai pas ; ne crains rien et ne te laisse pas effrayer ». Si l’Éternel déverse un plein sceau de paroles encourageantes sur la tête de Josué, c’est qu’il en a besoin parce que la tâche qui l’attend va être particulièrement ardue. L’ordre divin d’être fort se trouve également et plusieurs fois dans le Nouveau Testament. Aux Éphésiens et dans sa première épître aux Corinthiens, l’apôtre Paul écrit :
Puisez votre force dans le Seigneur et dans sa grande puissance (Éphésiens 6.10). Soyez vigilants, demeurez fermes dans la foi, faites preuve de courage, soyez forts (1Corinthiens 16.13).
Et dans sa seconde lettre à son disciple Timothée, il dit :
Toi donc, mon enfant, puise tes forces dans la grâce qui nous est accordée dans l’union avec Jésus-Christ (2Timothée 2.1).
Cette seconde épître à Timothée est le chant du cygne de l’apôtre Paul. Dans cette ultime lettre, il donne un certain nombre de conseils à son jeune disciple, et la dernière exhortation qu’il met par écrit concernant la vie chrétienne est la suivante :
Garde, en toute circonstance, le contrôle de toi-même. Supporte les souffrances. Remplis bien ton rôle de prédicateur de l’Évangile. Accomplis pleinement ton ministère (2Timothée 4.5).
Paul s’adresse alors à un pasteur-prédicateur mais ce qu’il dit s’applique à tous les croyants ; il suffit de lire :
« Garde, en toute circonstance, le contrôle de toi-même. Supporte les souffrances. Remplis bien le rôle que Dieu t’a assigné. Accomplis pleinement l’œuvre que Dieu t’a confiée ».
Comme les colons juifs se sentent écrasés par la tâche titanesque qui est devant eux, le prophète Aggée ne se contente pas de leur dire : « Mettez-vous à l’œuvre », mais de la part de l’Éternel, il ajoute la promesse :
Car je suis avec vous. Voilà ce que déclare le Seigneur des armées célestes.
Tout comme Dieu accompagnait les Hébreux pendant l’Exode, après leur sortie d’Égypte, il est présent au milieu des colons pendant qu’ils rebâtissent le Temple. Il faut rappeler une fois encore que cette tâche est directement associée à leur exode hors de Babylone. En effet, le contenu du décret signé par l’empereur Cyrus mentionne spécifiquement la reconstruction du Temple de l’Éternel ; c’est la raison qu’il invoque quand il autorise les Israélites à quitter leur pays d’exil pour le pays de Canaan, la Terre promise que Dieu a juré de donner à leurs ancêtres à perpétuité. C’est le règne de mille ans de Jésus avec son trône à Jérusalem, qui est l’accomplissement parfait et final de cette promesse.
Commentaire biblique radiophonique écrit par le pasteur et docteur en théologie : Vernon McGee (1904-1988) et traduit par le pasteur Jacques Iosti.