Aggée
Livre du prophète Aggée
Introduction
Au début du second conflit mondial, quand mon oncle entre dans la résistance il prend un nom de guerre pour remplacer le sien qui a une forte consonance germanique. Je connais plusieurs personnes qui ont un nom propre difficile à porter parce que c’est une cible toute faite pour les quolibets. Le prophète Aggée a lui aussi un nom intéressant car il signifie « festif ou fête solennelle ». Certains commentateurs pensent qu’il est né pendant l’une des quatre festivités solennelles d’Israël et c’est ce qui expliquerait l’origine de son nom. Pour Jérôme, Père de l’Église et rédacteur de la Vulgate, ce nom vient du fait que comme l’écrit le psalmiste dans le psaume 126, Aggée a « semé dans les larmes mais a moissonné avec des cris de joie » (Psaumes 126.5), le cœur en fête quand il est témoin de la reconstruction du Temple de Jérusalem après l’exil.
En réalité, Aggée ne dit absolument rien de lui-même. Il fait son devoir, écrit un sommaire de sa prophétie en seulement deux chapitres (seul Abdias est plus court dans l’Ancien Testament) puis se retire du devant de la scène qu’il n’occupe d’ailleurs que cinq mois tout au plus. De ce prophète, on ne connaît donc que le nom et les quatre oracles que contient son livre, lesquels sont délivrés dans l’ancien royaume de Juda en très peu de temps, d’août à décembre de l’année 520 avant notre ère. Cependant, au travers de sa prophétie, on découvre un homme d’action, énergique et animé par une sainte impatience car il a hâte de voir reprendre les travaux trop longtemps interrompus de la reconstruction du Temple. Plus orateur que poète, il force ses contemporains à réagir en utilisant des images frappantes et par ses convictions personnelles. Il s’adresse à la raison, à la volonté de ses auditeurs plus qu’à leur imagination ou à leur sentiment et le résultat désiré ne tarde pas à se faire attendre car ses efforts sont couronnés de succès.
La nécessité de la restauration du Temple provient de la place considérable qu’il occupe dans la vie de la nation d’Israël. C’est, en effet, le signe visible de l’alliance conclue au Sinaï entre l’Éternel et son peuple et le symbole de la résidence de Dieu au milieu de son peuple. Le Temple renversé représente donc une sorte de rupture d’alliance et la cessation de la relation qui unit Dieu à la nation tout entière. Aux yeux d’Aggée, la reconstruction du Temple est donc une obligation sacrée qui doit s’imposer à la conscience des Israélites.
Aggée est mentionné avec le prophète Zacharie, son contemporain, dans le livre d’Esdras (Esdras 5.1 ; 6.14). Mais comme son nom ne figure pas dans les listes des colons juifs rentrés d’exil (en 538), il se peut que sa famille étant très pauvre, elle avait été autorisée à rester en Juda pendant l’exil babylonien, ou bien il n’est qu’un enfant qui accompagne ses parents quand ils se sont joints aux premiers Israélites qui ont pris la direction d’Israël. La troisième possibilité est que Aggée fait bien partie des colons en tant qu’adulte, mais son nom ne figure pas sur les listes parce qu’elles sont incomplètes et répertorient surtout des chefs.
Les noms d’Aggée et de Zacharie apparaissent dans les titres du début de certains psaumes des anciennes versions grecque et syriaque, mais on ne sait pas trop quel crédit accorder à cette tradition car de telles mentions peuvent aussi provenir d’un scribe trop zélé. Quand on aime bien quelqu’un, on essaie de faire de lui un personnage important, un auteur accompli, un héros. Une autre explication possible est que Aggée et Zacharie ont effectivement travaillé les dits psaumes afin qu’ils puissent être chantés pendant le culte rendu à l’Éternel.
Comme l’avaient annoncé les prophètes Ésaïe et Jérémie, Babylone est conquise en l’an 539 avant Jésus-Christ par Cyrus, roi des Mèdes et des Perses. L’année suivante, il promulgue un décret autorisant les Juifs à retourner dans leur pays et à reconstruire le Temple de l’Éternel (2Chroniques 36.22). Le texte gravé sur ce qu’on appelle « le cylindre de Cyrus » découvert au 19e siècle, nous apprend que cette décision fait partie de la politique menée par ce souverain envers tous les peuples assujettis, dans le but très égoïste mais pratique de se concilier ces populations ainsi que la bienveillance de leurs divinités.
Il ne faudrait surtout pas croire un seul instant que Cyrus est devenu monothéiste et adorateur de l’Éternel. On sait au contraire qu’il révère Bel-Mardouk, le patron de Babylone, et qu’après avoir capturé cette capitale, son premier souci est de remettre à leur place, chacune dans son sanctuaire, toutes les divinités de la ville. Il vaut toujours mieux avoir les dieux de son côté que contre soi, et si ça ne sert à rien, en tout cas ça ne peut pas faire de mal, du moins c’est ce que les anciens croient.
Suite au décret de Cyrus, environ 50 000 Juifs retournent en Juda sous la conduite du grand-prêtre Josué et de Zorobabel, prince de Juda, qui devient haut-commissaire de la Judée pour l’Empire perse (Esdras 1-2).
Mais ce départ de Babylone en direction de la Palestine ne donne pas lieu à un grand feu d’artifice parce que les Israélites nés en exil sont confortablement installés et préfèrent rester où ils sont car les affaires marchent plutôt bien. Que ce soit en Terre promise ou à l’étranger, ils sont toujours sous la bénédiction d’Abraham. Il faut se mettre à leur place ; ils ont une bonne situation, portent costume-cravate et font une tonne de fric, alors ils sont pas très motivés d’aller vivre dans un pays en ruines occupé par des païens qui se sont emparés des maisons et des terres ayant autrefois appartenu à leur famille. Cependant, plus tard, sous Cambyse le successeur de Cyrus, d’autres exilés ont un remords de conscience et retournent en Terre promise, et par la suite, d’autres colons continuent d’arriver en Israël.
En l’an 537 avant Jésus-Christ, quelques mois après leur arrivée en Palestine, les Israélites rétablissent l’autel des holocaustes qui se trouve à l’entrée du Lieu saint du Temple, et offrent des sacrifices à l’Éternel (Esdras 3.1-5). Ensuite, ils se lancent dans la reconstruction du Temple proprement dit qui avait été rasé par les Babyloniens, et posent les fondations de l’édifice (en 536 ; Esdras 3.6-13). Mais c’est alors qu’au nom de la fraternité des peuples, les populations du pays proposent leur aide aux Juifs. En fait, c’est surtout ceux qui habitent le centre de la Palestine qui désirent se joindre aux travaux.
Ces Samaritains comme on les appelle, sont un mélange de descendants d’Israélites du royaume des X tribus du Nord et de païens étrangers amenés par les Assyriens pour repeupler le pays. Mais suite à leur demande, les Samaritains essuient un refus catégorique de la part de Zorobabel (Esdras 4.4-5, 24) car accepter la participation d’une peuplade syncrétiste à la construction du Temple de l’Éternel introduirait l’idolâtrie en Israël. Or, la leçon infligée par Dieu à son peuple a porté ses fruits et le nouveau peuple de Juda veut désormais rester à l’écart des influences extérieures néfastes qui ont jadis causé sa ruine (Esdras 4.1-3). Oui, mais les Samaritains sont vexés par le refus de Zorobabel et décident de venger l’affront qu’ils viennent de subir en faisant tout ce qui est en leur pouvoir pour décourager les Israélites. Ils cherchent à les effrayer et arrivent à susciter une opposition si farouche à leur projet de reconstruction de la part des peuples alentour que les autorités perses font cesser les travaux. Les Juifs sont amèrement déçus parce qu’ils s’imaginaient qu’ils seraient sous la bénédiction divine et donc prospères. Alors, devant les difficultés rencontrées, ils jettent l’éponge, apprennent à vivre au milieu des ruines et décident de s’installer le plus confortablement possible, laissant à d’autres et à plus tard, le soin de reconstruire le Temple. L’enthousiasme qui était de mise pour le rétablissement de l’autel des holocaustes se transforme en un vent glacial et le chantier est suspendu pendant plus de 15 ans.
La situation perdure sous le règne de Cambyse (529-522), fils de Cyrus, qui est un roi cruel au caractère lunatique, et qui est plutôt contre la reconstruction d’un temple à un Dieu qu’il n’approuve pas. Apparemment ce despote a trop tiré sur la corde ce qui a fatigué l’Éternel, et il meurt dans des conditions mystérieuses, sans doute par suicide. Il ne laisse pas de fils, et comme il a fait assassiner son frère (Bardiya), après la mort de Cambyse on se dispute le pouvoir.
Suite à quelques intrigues compliquées, c’est Darius Hystaspe de race royale, qui prend la direction de l’Empire perse. Au début il doit faire face à plusieurs révoltes ce qui l’occupe pendant deux ans. Une fois l’ordre rétabli, Darius règne sur un empire qui à l’est va jusqu’en Inde, et à l’ouest jusqu’à l’archipel grec. Dans l’ensemble, Darius est un bon administrateur mais il fait une expédition désastreuse contre les Scythes qui habitent le bassin du Don, en Russie ; il a aussi quelques démêlés avec les Grecs et ses généraux (Datis et Artaphernes) sont vaincus à Marathon (490 avant Jésus-Christ). Darius meurt à l’âge de 73 ans après un règne de 36 ans (522-486).
En passant, il vaut la peine de noter qu’en l’an 514, huit ans après le début de son règne, Babylone tente de se révolter et c’est la seconde fois sous le roi Darius. Les murailles de la ville sont alors démolies, marquant une étape importante de la destruction totale de Babylone annoncée par les prophètes de l’Éternel.
C’est à la fin de la période trouble des deux premières années du règne de Darius que les prophètes Aggée puis Zacharie se lèvent pour appeler le peuple élu à poursuivre les travaux de reconstruction du Temple (Esdras 5.1-2 ; 6.14). Les Israélites se remettent alors au travail, mais les responsables politiques de la province perse qui ont juridiction sur la Palestine, s’inquiètent de cette activité religieuse et envoient un rapport à Darius.
Cependant, les chefs du peuple de Juda défendent leur droit de continuer les travaux en s’appuyant sur le décret de Cyrus (de 538). Darius ordonne alors de faire des recherches dans la capitale de la Médie (Ahmetha) où l’on retrouve l’édit de Cyrus. Darius autorise alors la reprise de la reconstruction du temple (Esdras 6.1-12) qui sera achevé en l’an 516 (Ésaïe 5-6). La reconstruction du Temple a donc pris vingt ans.
Les quatre oracles qui composent le livre d’Aggée sont tous datés avec précision (Aggée 1.1 ; 2.1, 10, 20) parce qu’on a retrouvé des documents consignant des observations astronomiques, qui permettent de convertir ces dates dans notre façon de compter les années.
Au moment où Aggée commence son ministère, le Temple est en ruines et les Juifs ne s’en préoccupent plus ; ils ne s’intéressent qu’à leur propre situation et passent leur temps à améliorer leur sort et embellir leurs maisons. Mais il faut dire aussi qu’ils sont en mode de survie à cause des conditions économiques difficiles qu’ils connaissent.
La prophétie d’Aggée porte essentiellement sur la nécessité de reconstruire le Temple de l’Éternel après plus de quinze années d’arrêt des travaux. Le texte que nous possédons n’est qu’un sommaire de ses oracles. C’est de la prose ordinaire mais puissante dans sa simplicité et tout porte à croire que dans sa forme complète, le langage de cette prophétie était très éloquent. De toute façon, il n’est pas nécessaire d’utiliser des belles tournures oratoires pour dire à des gens qu’ils doivent se mettre sérieusement au travail.
Dans le premier oracle (fin août 520), le prophète dénonce la négligence des Israélites qui ne se soucient que d’eux-mêmes et de leurs propres affaires, et délaissent le Temple en ruines. Il précise que c’est à cause de cette mauvaise attitude que l’Éternel suscite les difficultés économiques qu’ils subissent (Aggée 1.1-11). Le peuple, encouragé par Zorobabel et le grand-prêtre Josué, décide alors de poursuivre les travaux.
Aggée délivre le deuxième oracle le dernier jour de la fête des Cabanes (ou Tabernacles, à la mi-octobre 520), alors que le peuple se trouve rassemblé aux alentours du chantier pour le culte lié à cette célébration. Les personnes les plus âgées qui ont connu le Temple de Salomon avant sa destruction (587-586) déplorent l’état actuel de l’édifice. Mais Aggée passe outre ces rabat-joies et encourage les bâtisseurs à prendre courage en leur promettant la présence et l’aide divines. De plus, il leur annonce que le Temple qu’ils sont en train de reconstruire connaîtra une gloire plus grande encore que celle du précédent (Aggée 2.8-9), et même qu’un jour, les richesses de toutes les nations afflueront à Jérusalem.
Cette prophétie est diamétralement opposée aux circonstances déprimantes dans lesquelles se trouvent les Israélites, car ceux-ci habitent un tout petit lopin de terre de l’Empire perse et leur qualité de vie est déplorable. Mais selon Aggée, et tous les prophètes d’ailleurs, l’histoire est en marche vers une ère nouvelle qui est « le Jour de l’Éternel », et qui débutera par un chamboulement du ciel et de la terre avant que Dieu n’établisse son royaume en ce bas-monde.
Le troisième oracle (prononcé le 18 décembre 520) porte sur la situation économique du pays. Le peuple s’est rendu coupable envers l’Éternel à cause de sa négligence vis-à-vis du Temple et c’est ce qui lui vaut les conditions misérables dans lesquelles il vit. Mais maintenant qu’il s’est attelé à la tâche de reconstruction du Temple, l’Éternel promet de le bénir et de lui accorder la prospérité dès la nouvelle année agricole en cours, et cela malgré que les Israélites ne puissent pas consacrer beaucoup de temps aux travaux des champs.
Le quatrième oracle, prononcé le même jour que le précédent, comporte une promesse concernant la continuité de la dynastie de David, représentée par Zorobabel prince de Juda. Lorsque l’Éternel ébranlera le ciel et la terre, les puissances de ce monde perdront leur pouvoir pour céder la place au royaume de Dieu.
Les oracles d’Aggée constituent un appel adressé au peuple de Dieu à faire du royaume à venir sa préoccupation première. À cette exhortation est assortie la promesse que des conditions de vie meilleures lui seront données en plus. C’est aussi ce que Jésus enseigne et que nous rapporte Matthieu. Je lis le passage :
Ne vous inquiétez donc pas et ne dites pas : “ Que mangerons-nous ? ” ou : “ Que boirons-nous ? Avec quoi nous habillerons-nous ? ” Toutes ces choses, les païens s’en préoccupent sans cesse. Mais votre Père, qui est aux cieux, sait que vous en avez besoin. Faites donc du règne de Dieu et de ce qui est juste à ses yeux votre préoccupation première, et toutes ces choses vous seront données en plus (Matthieu 6.31-33).
Aggée ne condamne pas la préoccupation du peuple pour son propre bien-être comme si c’était une faute car l’Éternel ne lui demande pas de faire vœu de pauvreté. Par contre, Dieu veut que chacun de nous revoie son échelle de valeurs et de priorités, afin de lui accorder la première place. « À tout Seigneur tout honneur ».
Pour encourager ses compatriotes, Aggée ne se contente pas seulement de faire des promesses à court terme, mais comme je l’ai dit, il brosse un tableau du plan de Dieu et de sa finalité qui est l’établissement sur terre du royaume de Dieu. La restauration du Temple n’est qu’un prélude, une étape, vers cet objectif lointain et grandiose. L’action présente aussi modeste soit-elle, d’une part, est nécessaire à la réalisation de ce projet divin, et d’autre part, a un sens car elle va dans une direction précise, vers la fin des temps. C’est ainsi qu’en reconstruisant le Temple, les Israélites contribuent à la réalisation du plan de Dieu pour les âges.
Quand on arrive au Nouveau Testament, on constate que le projet de Dieu a beaucoup progressé depuis le temps d’Aggée. La prophétie concernant le bâtiment du Temple alors en reconstruction, et détruit depuis l’an 70 de notre ère par les Romains, s’est réalisée quand Jésus, qui est la révélation de la gloire de Dieu, est venu sur terre.
L’annonce d’un chamboulement du ciel et de la terre débouchant sur une ère nouvelle (Aggée 2.6, 21) est interprétée par l’auteur de l’épître aux Hébreux comme ayant commencé avec l’instauration de la Nouvelle Alliance en Jésus-Christ. En effet, celle-ci dépasse et rend caduque l’Ancienne Alliance du mont Sinaï, car la Nouvelle alliance est conclue avec tous les peuples de la terre, ce qui représente un pas de géant vers l’instauration du royaume de Dieu (Hébreux 12.18-29). La prochaine étape sur le calendrier de Dieu est l’enlèvement de l’Église.
En tant que représentant de la dynastie de David, Zorobabel est porteur d’une promesse qui s’est accompli en Jésus-Christ, de la lignée de David, qui a reçu la royauté à sa résurrection (Actes 2.32-36 ; Philippiens 2.9-11) et qui reviendra établir son règne sur la terre entière.
Les prophéties d’Aggée ont déjà connu un accomplissement partiel, mais nous attendons l’aboutissement de l’ordre nouveau instauré par la mort, résurrection et ascension de Jésus-Christ, et par la venue du Saint-Esprit à la Pentecôte. Dans cette attente, tous les croyants sont appelés à contribuer à la réalisation du plan de Dieu en participant à l’établissement et l’édification de l’Église universelle (Éphésiens 2.20-22 ; 1Pierre 2.4-5).
Commentaire biblique radiophonique écrit par le pasteur et docteur en théologie : Vernon McGee (1904-1988) et traduit par le pasteur Jacques Iosti.